L’art et la géniale folie des frères Coen reposent dans le détournement de films noirs. Il suffit d’avoir vu No Country for Old Men pour ne plus douter de leur capacité à exceller dans les codes du genres, et à s’en amuser. Alors que Fargo et The Big Lebowski s’étaient avérés dignes héritiers de ces « drôles de films sombres », Ave, Cesar!, détonne. Aucun emprunt, ni au polar, ni au drame, juste une farce, survoltée.
De l’art du paradoxe
C’est une comédie forte en vitamine, et en sarcasme. Et pour cause, Ave, César! propose une mise en abîme insolente : critiquer l’industrie du cinéma par le cinéma. Sur fond de Guerre froide, Eddie Mannix, « fixer » pour un studio hollywoodien de renom, régit l’envers du décor. Réelle figure d’Hollywood (article à lire sur Le Monde), Mannix, à l’image de l’oeuvre des Coen, est fait de contradictions. Josh Brolin nous régale, il se confesse empli d’ardeur, et la seconde d’après, gifle avec fureur une actrice semi-nue.

© Universal Pictures
L’itinéraire du film apparaît aussi tortueux que sa figure principale. Ave, Cesar!, parfois, s’engage dans une ode au cinéma, flattant son pouvoir de suggestion et son influence. Preuve en est, ces auteurs communistes qui sèment, dans leurs scénarios, des « indices révolutionnaires » ci et là. Puis le long-métrage bifurque, se muant en une critique aiguisée de l’industrie du cinéma, faite de propagande très lisse, de contrats d’exclusivité, de richissimes hommes sans visage et de superstars brimées. Ces deux visions cheminent et s’entremêlent, jusqu’à faire d’Ave, Cesar! une comédie déconcertante, absurde et abusivement drôle.
Le jusqu’au-boutisme à la Coen
Les frères Coen ont l’audace d’aller jusqu’au bout de leurs paradoxes. Quoi de mieux, pour dénoncer l’industrie hollywoodienne, que de mettre en scène un casting doré ? Un fois de plus, le talent (ou le vice) des Coen consiste à tout détourner sans cesse ni pudeur. Y compris la réputation de leurs acteurs, qu’ils désacralisent avec brio.

© Universal Pictures
George Clooney, sex symbole intergénérationnel, se mue en comédien un peu crétin et malléable. Scarlet Johansson, femme fatale, devient vulgaire, décroise les jambes et se plaint de ses « gaz ». Channing Tatum, viril streap-tiser huilé dans Magic Mike, devient un homosexuel danseur de claquette. Ralph Fiennes fait dans le snob pendant que Tilda Swinton commère. Rien ni personne ne semble pouvoir échapper au sarcasme d’Ave, Cesar!, de la comédie musicale rétro (kitch) au drame sentimentaliste, du journaliste « vautour » aux réalisateurs cupides.
Ave, Cesar, mord l’intérêt et l’égo. La vie, la parodie et les couleurs siéent au teint des frères Coen. S’ils ne sont pas à au summum de leur forme, ni même de leur absurdité, ils signent un film hilarant, digne de leur filmographie.
NB : Rude signifie « impoli » en Anglais.
★★★,5
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