Synopsis : La zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique est devenue un territoire de non-droit. Kate, une jeune recrue idéaliste du FBI, rejoint un groupe d’intervention d’élite dirigé par Matt, agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. Menée par l’énigmatique Alejandro, l’équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions.
Enrique Serrano Escobar, le maire de la Ciudad Juárez, a appelé à boycotter le film Sicario de Denis Villeneuve, sorti le 18 septembre aux Etats-Unis et présenté quelques mois auparavant au Festival de Cannes. En cause, une superproduction américaine qui donnerait une mauvaise image de la ville. L’appréhension du maire est compréhensible, dès le premier pas au Mexique, le ton est donné. Corps décharnés, mutilés, pendus sous les ponts, explosions et coups de feu relevant d’une horrifiante banalité, Villeneuve déploie un éventail de visions gores et nous impose une violence crue et sauvage, quoiqu’un peu voyeuriste.
Et malheureusement, Monsieur le maire, Sicario n’est pas un mauvais film se limitant aux courses poursuites et autres rafales de balles.
Une intrigue noueuse et intelligente
Mesurée et adroite, l’oeuvre met en lumière la complexité de la lutte contre les cartels de drogue avec toute la profondeur qu’elle implique et les rapports de force qu’elle alimente. Des autorités mexicaines corrompues aux forces fédérales américaines et leurs dérapages « hors-procédure », en passant par les dirigeants états-uniens qui ferment les yeux, l’échiquier de Sicario rappèle amèrement l’histoire contemporaine (polémique du camp de Guantánamo, enlèvement d’Inguala au Mexique qui met en cause la police locale…). Afin d’incarner les tensions relatives à la lutte anti-drogue, trois personnages jouent l’antagonisme. Kate Macy (Emily Blunt), jeune recrue du FBI à la carrière prometteuse, pense éthique, morale et procédure (dommage que la seule femme de l’équipe soit encore « l’enquiquineuse de service »). A ses côtés, Alejandro (Benicio del Toro), pseudo membre de la CIA, torture, frappe et massacre. En arbitre cynique se dresse Matt (Josh Brolin), qui tente de rassurer l’une tout en encourageant l’autre.
L’intérêt de Sicario repose justement dans la valse de ses personnages. Jeune et jolie, Kate apparaît immédiatement comme étant l’héroïne du film, mais les clichés s’arrêtent là : son meilleur ami, Reggie (Daniel Kaluuya), ne meurt pas tragiquement dans ses bras, elle n’a pas le destin du monde entre ses mains, ni même le sien d’ailleurs. Désoeuvrée, manipulée, écrasée, au fil de l’intrigue Kate ne devient qu’un pantin à l’idéalisme brisé, simple dommage collatéral d’une lutte effroyable. Alors que l’héroïne dépérit, c’est un autre protagoniste, presque du ressort de l’anti-héros, qui s’impose. Alejandro, superbement incarné par un Benicio del Toro qui s’était déjà montré sombre et tourmenté en flic pourri dans Sin City, impose son chemin, sa traque solitaire animée par la vengeance. Pour une fois, le gentil ne triomphe pas. D’ailleurs il n’y a sûrement pas de réels gentils dans cette histoire.
Une réalisation captivante
L’atmosphère anxiogène presse nos petits coeurs. La tension est habilement suggérée et parvient à nous tenir en haleine durant l’intégralité de l’oeuvre. A l’écran, beaucoup de sueur et d’halètement, dans la salle tout autant de sursauts et de souffles coupés. Le pouls vibre à la cadence des coups de feu, on croirait plonger à la suite des agents, être une cible potentielle. La succession de plans aériens, soutenue par le vrombissement de l’hélicoptère, produit également un effet tout-à-fait remarquable, on perçoit tout comme si on y était. D’ailleurs, à plusieurs reprises, l’angle choisi nous pousse à nous sentir observateur direct des événements, l’effet sonore « message dans l’oreillette » ne fait qu’accélérer cette drôle d’impression. Une impression très stimulante puisque les deux heures de projection défilent à une rapidité appréciable, même si notre ventre, lui, reste longtemps noué.
Mais après tout, n’est-ce pas là ce que l’on attend d’un bon film ? De l’émotion et des frissons ? Un seul regret, le fait que Sicario adopte goulument le style de bien d’autres superproductions américaines, une démarcation tranchée en plus, un trait de caractère supplémentaire et même Escobar adhérerait. Escobar le maire, évidemment.
★★★★

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